Madeleine Béjart extraits et infos

Extrait du film "Molière" d'Ariane Mnouchkine : https://www.youtube.com/watch?v=h34u8ps2wG4&has_verified=1

Voir son portrait ici

Extraits du texte de la conférence "Molière Face Sud" :

Acte I Scène 3 

L'actrice : (revenant en scène avec une belle perruque rousse) Oui, Madeleine Béjart, je suis comédienne, j'ai 24 ans, je suis de la troupe de Charles Dufresne, ce soir on a joué pour le Roi Louis scrofuleux et pour son ministre tout aussi souffreteux une pièce de Pierre Corneille : « Horace ».


Je retourne dans ma loge, me démaquille, me mets en petite tenue, on frappe, on entre, qui vois-je ?...

Un beau jeune homme bien timide qui s'excuse :

  • Je ne suis que le valet de chambre de sa Majesté. Je me suis permis d'entrer car il tient à vous remercier, vous l'avez comme... ressuscité. Moi-même, j'en suis encore comme... foudroyé !

Devant tant de candeur, j'éclate de rire. Il rit et se détend, il ose m'inviter à la buvette, je lui réponds qu'en matière de rafraîchissement, j'en préfère de plus séant : « Connaissez- vous un chemin qui me conduise au bord du Rhône ? »

  • Mademoiselle, c'est très dangereux mais je suis bon nageur. A Paris, dans la Seine, j'ai sauvé plusieurs vies.

  • Bravo, je vous confie ma main. Menez-moi au bain...

Plus rouge que la tomate qui porte de la Provence son nom mignon, il m'entraîne, puis il détourne la tête quand je me jette nue au cœur des tourbillons.

Je me permets de reprocher :

  • Monsieur le valet de chambre, si vous vous détournez comment verrez-vous si je me noie ?

Il répond :

  • Mademoiselle, si vous craignez la noyade, autant me mettre à l'eau mais...

Il hésite à exposer ses attributs, je le réconforte :

  • Soyez en paix, j'en ai vu d'autres. De Monsieur le Comte de Modène, j'ai eu deux enfants. Le premier n'a pas survécu mais Ménou est la seconde...

  • Ménou ?

  • Ce sont les bergers de ce pays, qui nomment ainsi les brebis, quand ils aiment leur dire : « Armande, que vous êtes jolie ».

Il a plongé, je ne l'ai plus vu mais j'ai senti qu'il me tirait par le pied comme pour me faire boire la tasse. Quand il est réapparu, je me suis écriée :

(au buste de Molière) « Ah, c'est toi ! Tu m'as fait peur, j'ai cru que c'était la tarasque de Tarascon ».

Acte III - Scène 2

(Le buste est toujours recouvert par la casaque de Joan-de-l'Ors. L'actrice entre, en tenue de Madeleine, perruque rousse).

Madeleine : (appelant, inquiète) Jean-Baptiste ! Où est-il passé ?

Le Parlement de Bordeaux est entré en sédition, il a l'appui de la jurade de la ville. A cette heure, 300 barricades sont dressés et narguent les troupes du gouverneur...

Et Jean-Baptiste n'est pas encore rentré !

Je ne le reconnais plus, on dirait qu'il y a deux Molière en lui, un qui s'oblige à la tragédie car c'est le seul art qui élève l'esprit, l'autre qui s'amuse à la comédie car son insignifiance permet de dire tout ce qui lui passe par la tête.

Et il lui en passe !

Si bien que deux femmes sont en moi. Celle qui a besoin de lui crier : “Apprends qu'être artiste, c'est vivre en dehors de la politique, c'est apprendre à danser d'un pied sur l'autre de manière à plaire à tous. C'est un art difficile mais c'est aussi de l'art.”

Et celle qui ne cesse de se rappeler : “Nous n'existons que parce que j'ai eu la chance de rencontrer le comte de Modène, qu'il est le chambellan de Gaston d'Orléans, que ce “Monsieur” est l'oncle du roi... et qu'il a un peu plus de cœur que ses semblables parce qu' il a subi l'injustice... (Elle s'assied,  ressasse ses souvenirs) il a été marié de force à 17 ans  à une femme qu'il n'aimait pas mais que lui imposaient Richelieu et sa raison d'Etat... le seul qui a eu le courage de s'élever contre ce mariage fut M. de Chalais... que Richelieu    fit exécuter à coup de doloire de boucher. Brrrr !”

(Parcourue d'un frisson, médite...)

Que sommes-nous à la fin ?... J'avais aussi 17 ans, j'étais jeune comédienne, j'ai partagé les vertus et les vices des amis de « Monsieur »... Il les rassembla au sein d'une confrérie qu'il nomma par provocation le Conseil de la Vauriennerie... Je me suis retrouvée avec lapetite Ménou dans le ventre... et je venais de la déposer dans les bras d'une nourrice prés de Nîmes que je rencontrais Jean-Baptiste.

Il y a deux femmes en moi, celle qui lui souffle : “Profitons des amis de “Monsieur”. Et celle qui le retient : “Prends garde de certains des amis de “Monsieur”.



Hors scène, le chanteur siffle quelques bribes de la mazarinade et vient retirer la parure de Joan de l'Ors qui couvre le buste de Molière. Il sort. Madeleine appelle à nouveau) Jean-Baptiste ?... ( Rassurée, elle aperçoit le buste et lui parle) Ah, je suis heureuse que  tu sois rentré ! J'ai appris que le duc d'Epernon avait ordonné la crémation du château de

M. d'Affis, le président du Parlement de Bordeaux et l'arrestation de nombreux fondeurs. Je m'inquiétais et j'avais hâte de t'entretenir de ce courrier... (Elle sort une lettre) Ecoute... (Elle la lit) « Depuis votre participation à la réception de Toulouse qui le consacra Lieutenant-général du Languedoc, M. le comte d'Aubijoux ne cesse de louanger vos mérites. Le spectacle qu'il vous commanda à Albi et le séjour inoubliable que vous fîtes chez lui dans sa gentilhommière de Crins à Graulhet n'ont fait qu'aviver l'attention qu'il vous porte. Il a rappelé votre bon souvenir à « Monsieur », le duc d'Orléans, qui en fut enchanté.

Vous n'êtes pas sans ignorer que « Monsieur » est  depuis 3 ans le gouverneur en titre de  la province du Languedoc. Apprenez qu'il vient de nommer le comte d'Aubijoux gouverneur de la ville de Montpellier et  qu'il va obtenir la révocation du gouverneur de   la Guyenne, le duc d'Epernon, votre actuel protecteur . Cela endiable le ministre Mazarin mais Mazarin doit désormais compter avec « Monsieur » qui voit sa position renforcée  par la Fronde parlementaire.

Permettez-moi de vous annoncer que les prochains Etats de Languedoc se tiendront à Toulouse et que le comte d'Aubijoux a déjà acquis le privilège de votre participation et   les conditions utiles à vos rémunérations actuelles et à venir. Il ne tient donc qu'à vous,   ma chère Madeleine, de profiter des bonnes grâces de « Monsieur ». Personne n'interdit à Charles Dufresne de rester en votre compagnie mais compte-tenu de ses compromissions avec M. d'Epernon, il serait de bon ton que l'un de vous prenne sa succession ».


Jean-Baptiste, sais-tu qui a écrit cette lettre ? Monsieur l'Abbé de la Rivière en personne, autrement dit : le Grand Monacal du Conseil de la Vauriennerie. (Avec une certaine défiance) Tu vois de qui je veux parler...

(Elle plie la lettre en concluant) J'ai informé Charles Dufresne. Son avis est que tu prennes la direction de la troupe. Si tu me demandais quel est le mien, je te répondrais comme lui...

(après une courte retenue) vu qu'aucune femme ne peut prétendre à ce rôle et que je ne suis pas de nature à me laisser griser par « l'Air-du-temps » qu'il fait.

Acte IV - Scène 2

Madeleine entre et, tout en parlant au buste, s'affaire à des tâches ménagères ou de gestion

Madeleine : Le courrier vient de passer et toujours pas de nouvelles ! Dix-huit mois que les Etats de Languedoc ne sont pas réunis ! Du jamais vu ! J' espère que le comte d'Aubijoux ne sera pas emporté par la vague d'incarcérations qui s'abat sur les frondeurs.

« Monsieur » et sa fille (« la Grande Demoiselle ») sont assignés à résidence dans leur château de Blois, lui pour conspiration, elle pour avoir fait tonner les canons de la    Bastille sur les spadassins de Mazarin. Ninon de Lenclos que tu connais et qui est la   plus... (comme coupée par une apostrophe) Oui bien sûr ! De l'avis des mâles que vous êtes : la plus érotique !... mais du mien : la plus fine débatteuse des salons parisiens. Eh bien, la voilà séquestrée dans un couvent. Le Grand Condé a fui vers la Hollande. Seul  son frère, le prince de Conti, résiste dans Bordeaux où la jurade a proclamé la république. Jusqu'à quand ?...


Jean-Baptiste, c'est l'heure de ton bain, il est chaud, tu devrais y aller. Depuis que nous sommes à Lyon, tu ne sors pas le nez de tes papiers, l'équipe se demande pourquoi ? Je  leur dis que tu écris. Ils demandent quoi ? Ils ne comprendraient pas si je leur avouais que tu ne m'en parles pas.

Parfois je t'entends rire aux éclats, et même répéter dans un boucan comme seules les farces en font. Cela me confirme dans ce qu'on dit... Malgré tous les dangers, tu es monté à Paris moins pour régler tes affaires d'héritage que pour acheter aux veuves de Gorju et de l'Esclache le répertoire farcesque de leurs maris. Je te rappelle qu'aucun de tes comédiens ne te suivrait pour jouer sur le Pont Neuf s'il te venait à l'esprit de revenir   vivre à Paris...

A Paris, tôt ou tard, il faudra bien qu'on y regagne notre place. Avec ce qui se passe, tu  fais bien d'y penser. Dans ce cas, tu aurais dû pousser jusqu'à Rouen, voir le vieux Corneille. Le pauvre homme s'est un peu trop mouillé avec la Fronde, on le lui fait payer, il est aux abois. C'est le moment de lui renouveler notre proposition d'écrire pour nous.

Pourquoi pas de la comédie si la comédie à présent te travaille ?...

Il ne résiste pas aux jolies femmes, tu devrais lui envoyer notre marquise... (réagissant ) Pourquoi pas moi ? (riant) Tu exagères. A présent Ménou est avec nous, j'ai trop de temps à lui consacrer pour qu'elle apprenne le métier... Pourquoi ne pas lui envoyer la du Brie ?... (mi-figue, mi-raisin) Ah ! ça semble te déplaire, c'est vrai qu'elle te fait les yeux doux... (Recouvrant le buste d'une serviette de toilette) Le bain va être froid. On reparlera de tout cela avec la troupe. Réfléchis ! L'« Andromède » de Corneille nous a permis de remporter un beau succès lyonnais. Tu avais raison, les spectacles à machines coûtent chers mais ils sont au goût du jour. Bon bain et viens nous rejoindre.

(Repartant, elle heurte la malle. Agacée, à elle-même) Je me demande ce qu'il fourre   dans cette malle ? Toujours bouclée à double tour depuis que le comte d'Aubijoux lui a offert … Quoi ?... Il aurait pu m'en parler. (Constatant que la malle est entrouverte)    Tiens ! (Elle jette un regard à l'intérieur) Des bouquins, des papiers ! (Elle saisit   quelques livres) Bien sûr : le “Quichotte” du Réalmontais Guérin de Bouscal... Mais  aussi : « Sanchò Pansa al palaïs del duc » de Francés de Corteta. C'est de l'italien ou de l'espagnol ?... ... Non, on dirait... (passant en revue d'autres livres ou manuscrits) Glaudi Bruèlhs : « Jardin deis Musas provençalas »... Bonnet : « Lo Triomfle de Besièrs »... (surprise) Oui, c'est du gascon ! Et celui-là ? « l'Eneida burlèsca » de... du montalbanais Joan de Valès. Je croyais que cette œuvre était de Scarron. (De plus en plus curieuse) Et  ce masque ?... Un masque inachevé ! (Elle sort un tablier de moulage sur lequel repose  un masque) C'est celui que portait le pitre de Toulouse ou l'ours de Bordeaux ?... (Elle lit au dos du masque) « Mascarilha »... (épluchant le manuscrit du tablier) … dans « L’Estourdy ». Pas de nom d'auteur mais c'est l'écriture de Jean-Baptiste... 

Une voix extérieure : (appelant) Mademoiselle Béjart !

Madeleine : (refoulant les objets dans la malle) Oui ? 

Le prof : (lui donnant une lettre) Un courrier pour vous.

Madeleine : (découvrant le cachet de la lettre) Le comte d'Aubijoux ! (empressée, lisant la lettre puis répercutant son contenu vers le buste) Jean-Baptiste, tu m'entends ? Le comte d'Aubijoux ! Il nous somme de prendre au plus vite la route vers Pézenas. (Elle sort)

 

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